Petites chroniques périgourdines

Adeline Fowle, une américaine châtelaine à Peymilou

Adeline Fowle, Marquise de La Valette

Je vous ai relaté dans un article précédent l’histoire du château de Cavalerie construit par le marquis de La Valette dans le hameau de Peymilou (commune de Prigonrieux). Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à son épouse, Adeline Fowle, une américaine qui devint par son mariage châtelaine à Peymilou.

Adeline Fowle, son premier mariage

Adeline Fowle, fille de John Fowle et Mary Cooke, est née en 1800 dans le Massachusetts. Elle épouse, à l’âge de 16 ans, Samuel V Welles, un riche banquier de 11 ans son aîné. Ils auront un fils, Samuel VI Welles, né à Boston en 1834.

Comment et pourquoi les Welles sont arrivés à Paris, à défaut d’archives, il est difficile de le dire. Néanmoins, Adeline est dès 1837 une figure importante de la bonne société, elle parle un excellent français et est introduite dans les cercles les plus restreints.

C’est également une très jolie femme et dans Le Périgourdin de Bordeaux, d’avril 1959, Marie-Antoinette Bireau rapporte un portrait très flatteur :

Dans sa jeunesse, nous dit le chroniqueur, Madame Welles était une des plus adorables personnes, je ne dis pas qu’on puisse voir, mais je l’affirme, qu’on puisse rêver. Blonde d’une nuance légère et cendrée avec des cheveux fins, les yeux d’un bleu sombre, d’une expression tendre et riante, avec des sourcils pareils à ceux des peintures japonaises… une peau aussi lisse et aussi rose que des pétales de camélias et de bengales.

Portrait d’Adeline Fowle – Watertown Free Public Library

En 1837, la situation financière de Samuel Welles devient très préoccupante avec la panique bancaire qui se produit aux États-Unis. Après une période de fortes spéculations,  le 10 mai 1837 à New York, toutes les banques sont en cessation de paiement. La panique est suivie d’une dépression longue de cinq années, accompagnée de faillites bancaires et d’un taux record de chômage.

Samuel Welles est ou va être en cessation de paiement mais il semble qu’Adeline ait trouvé des arrangements permettant à son époux de résister à cette grave crise financière. Cependant, peut-être ébranlé par cet épisode, Samuel Welles décède 4 ans plus tard à l’age de 63 ans.

Adeline Fowle, marquise de La Valette

Le 19 octobre 1842, Adeline épouse en secondes noces le marquis Charles, Jean, Marie, Félix de La Valette, il a six ans de moins qu’elle. Diplomate sous le règne de Louis-Philippe, il semble que cette alliance ait permis l’essor de la carrière de son époux. En effet, Adeline est une intime du duc de Morny et ceci explique peut-être cela : diplomate, député de la Dordogne, sénateur, il sera plusieurs fois ministres sous le règne de Napoléon III.

Cette ascension n’a pas échappé à Horace de Viel-Castel*, un chroniqueur de l’époque qui écrit, d’une plume acerbe, :

Lavalette, pour arriver à un poste diplomatique important, a mené la vie de joueur, a vécu avec toutes les danseuses les plus célèbres, entre autres Fanny Elser; puis, un beau jour, à bout de ressources, il se fait nommer consul à Alexandrie; puis encore, il épouse la vieille veuve d’un banquier américain, et le voilà grand seigneur .

*Horace de Fiel-Castel, misanthrope et réactionnaire,  rédige de 1851 à sa mort en 1864 ses mémoires qui témoignent de la société du Second Empire.  Son activité de « commère mondaine » lui valut le surnom de Fiel-Castel.

Adeline à Peymilou

Originaire d’une famille périgourdine et sans doute pour conforter ses fonctions électives locales, le marquis de La Valette achète en 1846 le château de Cavalerie. Le marquis et la marquise y résident régulièrement et donnent des réception qui animent le petit hameau de Peymilou.

Ils se sont sans doute attachés à ce coin du Périgord et ont fait preuve de beaucoup de générosité en faveur de leur commune d’adoption. Le registre des délibérations de la commune de Prigonrieux  fait d’ailleurs mention de ces dons : 3000 francs pour la construction de l’école de Peymilou, don de 500 francs pour la construction d’un mur au cimetière de Prigonrieux, achat d’un terrain pour la construction de la chapelle de Peymilou…

Chapelle de Peymilou (commune de prigonrieux)

Chapelle de Peymilou (commune de prigonrieux) – ©MCweb.

A propos d’Adeline, Marie-Antoinette Bireau (déjà citée) écrit:
La charité et la générosité de la marquise Adeline, furent reconnues sans aucune restriction par ses voisins de campagne et par le menu peuple de Peymilou, comblé par les attentions et les largesses de sa dame

Vérité historique ou réécriture de l’histoire, à défaut de témoignages directs, difficile de le dire aujourd’hui. Néanmoins, les habitants de Prigonrieux ont manifesté leur reconnaissance au châtelains de Cavalerie en apposant une plaque commémorative sur le mur de la chapelle de Peymilou. La plaque porte l’inscription suivante :

Plaque commémorative - Chapelle de Peymilou

Plaque commémorative – Chapelle de Peymilou – ©MCweb.

Cette chapelle dédiée à N.D. des anges
érigée en chapelle de secours
par décret impérial du 23 février 1867
a été édifiée à la munificence de
Adeline Fowle, marquise de Lavalette
décédée à Paris le 21 mars 1869
et de Charles Jean-Marie Félix marquis de Lavalette
ancien membre du conseil privé de l’empereur
Napoléon III, ancien ministre de l’intérieur et
des affaires étrangères, grande croix de la légion
d’honneur, décédé à Paris le 2 mai 1881.
Les habitants reconnaissants ont fait placer ici,
cette plaque pour perpétuer le souvenir des illustres
bienfaiteurs de la commune.
Décision du Conseil municipal du 25 novembre 1881.

Une période plus sombre pour Adeline

Est-ce la différence d’âge avec son époux, plus jeune de 6 ou 7 ans, Adeline, avec le temps, a du mal à accepter son âge d’autant qu’elle est une  cible privilégiée des railleurs. Déjà, en 1851, le chroniqueur, Horace de Viel Castel voyait en Mme de La Valette une vieille coquette et en 1859 il écrivait :

« le marquis de La Valette devient de plus en plus ridicule avec sa vieille femme toujours habillée comme une jeune nymphe, toujours minaudant et jouant de la prunelle ».

L’épisode du buste sculpté par Carpeaux  illustre parfaitement chez Adeline son aversion du temps qui passe. En effet, en 1861, le marquis de La Valette, ambassadeur près du Saint-Siège, admiratif de l’oeuvre du sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux, pensionnaire à ce moment là à la Villa Médicis, lui commande un buste de son épouse.

Jean-Baptiste Carpeaux est un artiste qui peint et sculpte avec beaucoup de réalisme,  produisant des œuvres très expressives. Jean-Baptiste Carpeaux sculptait « plus vrai que la vie » nous dit son ami Alexandre Dumas fils. Malheureusement, la marquise n’est pas satisfaite du résultat, regrettant que l’artiste ne l’ait pas rajeunie. Carpeaux est un artiste entier et passionné, furieux, il attaque le buste à la masse et au burin…

Le buste en marbre dégradé par Jean-Baptiste Carpeaux se trouve aujourd’hui au musée de Valenciennes tandis que le Musée d’Orsay détient un autre exemplaire en plâtre.

Le temps qui passe, la carrière déclinante de son époux, une époque qui se termine… notre marquise a perdu le charme exceptionnel qu’avait relevé un de ses contemporains. La princesse Julie Bonaparte, marquise de Roccagiovine, écrit dans ses mémoires :

« J’allais aujourd’hui rendre visite à la marquise de La Valette : elle voit les choses en sombre, elle désapprouve tout le monde, j’ai rarement vu une femme si aigre et si injuste car enfin, si la politique actuelle n’est guère brillante, le marquis de La Valette y est bien pour quelque chose. »

Sa dernière demeure au cimetière des Allains de La Force

La marquise de La Valette décède à Paris le 21 mars 1869, elle avait 69 ans. Elle repose au cimetière protestant des Allains à La Force où son époux avait fait érigé un tombeau de marbre blanc réalisé par l’architecte Roberti et le marbrier Cantet.

Cette tombe richement sculptée se trouve à l’extrémité du cimetière des Allains dans un enclos clôturé par une grille en fer forgé. A chaque extrémité de la tombe, deux médaillons rappellent au promeneur l’identité de deux de ses célèbres occupants, Adeline et son époux le marquis de La Valette.

Sources

2 Commentaires

  1. Terreaux

    Merci pour tous ces précieux enseignements !

    Répondre
    1. admin24 (Auteur de l'article)

      Merci pour ce retour 🙂

      Répondre

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