Sur l’esplanade de l’église souterraine d’Aubeterre-sur-Dronne, en contrebas des vestiges du château, un petit groupe se retrouve ce vendredi 24 avril 2018 pour la nouvelle sortie « patrimoine » de l’Université du Temps Libre (UTL) de Bergerac. Pour cette sortie, nous avons quitté le Périgord (le village d’Aubeterre se trouve en Charente) mais nous sommes venus en voisins très proches car nous sommes aux confins de la Dordogne et du département de la Charente.
Avant de parcourir la petite cité, notre petit groupe se prépare donc à visiter cette église souterraine. Souterraine, monolithe, creusée dans la falaise, édifice atypique aux dimensions imposantes avec 31 mètres de long, 11 mètres de large et 17 mètres de haut, toutes ces caractéristiques en font un monument exceptionnel, un des plus importants sanctuaires rupestres d’Europe. La visite s’annonce passionnante…
- Entrée de l’église souterraine
A l’origine de l’église souterraine d’Aubeterre-sur-Dronne
L’histoire et l’origine de cette église construite au XIIe siècle ne sont malheureusement quasiment pas documentées. Historiens et archéologues s’appuient cependant sur les éléments de contexte connus pour en comprendre la création.
Pierre Ier, vicomte de Castillon et seigneur présumé du château d’Aubeterre, ainsi que l’évêque de Périgueux Renaud de Thiviers sont sans doute à l’origine de la construction de cette église. Pierre de Castillon participe à la première croisade en 1097 suite à l’appel du pape Urbain II ce qui le mènera via des incursions militaires à Marash, à Antioche et à Tripoli. A-t-il était jusqu’à Jérusalem ? Difficile de l’affirmer car les chroniqueurs de l’époque n’ont pas fait mention de sa participation à la prise de Jérusalem.
Un projet très technique
De son retour probable de croisade, Pierre Ier de Castillon fortement influencé par son séjour en Terre Sainte va alors se lancer dans un projet d’envergure, la construction de cette église souterraine destinée possiblement à recevoir des reliques de Terre Sainte.
L’édifice ne va pas être bâti mais creusé dans la falaise sur laquelle est construit le château d’Aubeterre et ce creusement rend ce projet hors norme, notamment en cette période du Haut Moyen-Age. Le concepteur du projet était donc capable d’évaluer les contraintes liées au terrain, maîtrisait les techniques d’extraction et était capable de gérer le volume important de pierres extraites du chantier (évalué à 9 000 m3 pour les parties existantes encore aujourd’hui).
La méthode de creusement choisi pour ce chantier, du haut vers le bas, nécessite plusieurs niveaux de paliers et d’issues pour sortir la pierre après extraction d’autant que le creusement démarre à mi-hauteur de la falaise et s’achève 20 m plus bas. La galerie supérieure a, le temps de la construction, une vocation technique et on peut encore voir dans l’église des traces d’échafaudage.
En fait, rien n’a été simple dans ce chantier qui pourtant a été mené sur une période de 10 ans et a nécessité la participation de 200 à 300 ouvriers.
L’église au fil du temps
Construite au début du XIIe siècle pour abriter les reliques de la croix, elle est alors sans doute la propriété du châtelain d’Aubeterre ce que l’Eglise ne voit sans doute pas d’un très bon œil : les reliques attirent fidèles et pèlerins et leurs offrandes échappent ainsi au clergé. Aussi, dans la deuxième moitié du XIIe siècle, une deuxième église, l’église Saint-Jacques est construite à Aubeterre. La nouvelle église aux arcades finement sculptées, merveille de l’art roman, contraste fortement avec l’austérité et la froideur de l’église Saint-Jean. Il est probable que les fidèles se détournent peu à peu de cette dernière.
Au XVe siècle, en raison de la fragilité de la roche, le chœur de l’église, espace situé le plus en avant de la falaise, s’effondre. Au XVIe siècle, on construira une petite chapelle sur ces ruines. L’Eglise saint-Jacques, elle non plus, n’est pas épargnée par les aléas de l’histoire, elle est détruite en partie en mai 1562 lors des guerres de religion. L’église Saint-Jean devient alors église paroissiale jusqu’à ce que l’église Saint-Jacques soit restaurée.
La suite de son histoire est moins noble : à la révolution, l’édifice sert de carrière de salpêtre car il faut fournir de la poudre aux armées révolutionnaires et au XIXe siècle, elle devient , pendant 60 ans, cimetière municipal jusqu’à ce qu’un arrêté pour insalubrité soit pris par le préfet.

Carte postale ancienne : on distingue encore des tombes dans l’église monolithe St-Jean d’Aubeterre.
Il faudra attendre le début du XXe siècle pour que l’on prenne vraiment conscience de l’importance et de la valeur de l’église Saint-Jean. En 1912, l’édifice est inscrit au titre des Monuments historiques. Des travaux de dégagements et de mise en valeur du site auront lieu dans la seconde moitié du XXe siècle et en 2008, une campagne d’études archéologiques et une étude préalable des Monuments Historiques permettront de mieux comprendre l’histoire et l’architecture de ce lieu.
Entamons la visite …
Le plan ci-dessous, extrait d’un dépliant qui n’est plus distribué lors des visites permet de bien se situer dans cet espace remanié au cours des siècles.
Le chœur de l’église
L’effondrement de l’église ainsi que les constructions du XVIe siècle ont modifié la circulation au sein de l’édifice. Aujourd’hui, on entre dans le sanctuaire par une passerelle disposée au dessus des ruines du chœur de l’église. Il ne subsiste de ce chœur que les les bases octogonales de piliers monolithes qui soutenaient la voûte en berceau.
La porte du fond donne accès à l’espace martyrial et c’est également dans cette entrée que se trouve l’escalier permettant de descendre à la crypte.
La grande salle ou espace martyrial*
*Espace martyrial (de Martyrium) : lieu de culte dédié à la mémoire d’un personnage saint, autour de son tombeau ou d’une relique.
De l’entrée, en franchissant la porte en bois, on pénètre dans une salle orientée nord-sud, aux dimensions imposantes : 27 mètres de long, 11 mètres de large et 17 mètres de haut. Deux piliers octogonaux monolithes attirent immédiatement l’attention tant ils sont imposants et donnent l’impression de s’élancer vers le ciel. On remarque également les voûtes taillée dans le roc atteignant près de 20 m de hauteur.
Les deux piliers séparent la salle en deux avec un très grand espace terminé en abside et un bas côté aux dimensions plus réduites. Cette salle abrite également deux éléments assez uniques un reliquaire haut de 6 mètres et une fosse avec un croix creusée dans le fond.
- Piliers monolithes et voûte taillée dans le roc pris du bas de l’espace martyrial – © Mcweb
- Piliers monolithes : autre vue – © Mcweb
- Piliers monolithes pris depuis la galerie nord – © Mcweb
Le reliquaire
Au centre de l’abside, un reliquaire hexagonal, haut de 6 mètres, a été taillé dans le roc. Il comporte deux niveaux et est orné de colonnettes et d’arcades décorées. Il s’inspire sans doute du reliquaire du Saint-Sépulcre de Jérusalem décrit par les croisés, ce qui renforce l’hypothèse d’une église construite pour accueillir les reliques de la Sainte Croix. Il a cependant, à une époque, accueilli des dépouilles. Au XIXe siècle, on a découvert dans la partie basse plusieurs châsses contenant des ossements.
- Vue de l’abside et du reliquaire. Photographie prise depuis la galerie sud – ©Mcweb
- Reliquaire octogonal taillé dans le roc – ©Mcweb
- Carte postale ancienne : le reliquaire avec une statue dans une niche.
- Carte postale ancienne : le reliquaire.
- Tombeau du christ dans l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem en 1941 (depuis la rotonde surplombant le tombeau) – Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C. 20540 USA
La fosse creusée d’une croix
Dans l’alignement du reliquaire, on distingue une fosse creusée dans le roc comporte une croix grecque dans le fond. Fosse à reliques ou cuve baptismale, les deux hypothèses sont avancées. Les études archéologiques menées en 2008 et 2010 semblent plutôt considérer qu’il s’agit d’une fosse-reliquaire.
- Fosse reliquaire : détail de la croix. ©Mcweb
- Fosse reliquaire avec des sarcophages à proximité – ©Mcweb
La galerie haute
Un escalier creusé dans la paroi ouest donne accès à une galerie à arcades entourant le sanctuaire sur 3 côtés. De la galerie, on domine l’édifice et on prend toute la mesure de la prouesse architecturale réalisée ici. Une issue aujourd’hui murée donnait sur la falaise et un souterrain avec des marches reliait l’église au château.
- Vue depuis la galerie nord sur l’escalier menant à la galerie – ©Mcweb
- Vue sur les galeries ouest et nord – ©Mcweb
- A l’intérieur d’une galerie – ©Mcweb
La nécropole et ses tombes rupestres
Côté sud, une ouverture taillée dans le roc donne accès à un espace impressionnant, une nécropole contenant des tombes creusées dans la pierre. Les fosses sont au nombre de 170 et contenaient toutes des sépultures jusque dans les années 60.
A l’origine, cette salle a pu servir de vestibule avant de devenir, pour une longue période, un cimetière. On distingue sur la photographie ci-dessus les arcades en plein cintres taillées dans le roc dont certaines contiennent des tombes creusées elles-aussi dans la pierre. Un ouvrage en maçonnerie datant du XVIIe siècle ferme l’accès à une galerie souterraine en partie effondrée. Une porte du XVIIe siècle ferme la nécropole vers l’extérieur.
- Porte d’entrée vers la nécropole datant du XVIIe siècle-©Mcweb
- Carte postale ancienne : porte du XVIIe siècle.
La crypte
Une crypte creusée sous le chœur de l’église a été découverte par hasard en 1961. Il s’agit d’une crypte romane datant du moyen-age construite sous le chœur de l’église et sans doute réservée à l’usage des chanoines. Elle a sans doute été comblée suite à l’effondrement du chœur de l’église.
Longue de 17 mètres, elle comporte une première travée décorée d’arcades, un chœur de 2 arcatures terminé en abside dans laquelle on trouve un autel taillé dans la pierre. Deux sièges creusés dans les arcades du chœur et des banquettes dans la première travée accueillaient sans doute les chanoines.
- Crypte de l’église St Jean d’Aubeterre sur Dronne – ©Mcweb
- Crypte de l’église St Jean d’Aubeterre sur Dronne : sièges taillés dans la pierre – ©Gaby24
Pour compléter la visite
–> Feuilletez le très bel album photographique de Gaby24 sur le blog « Le nez dans l’herbe » : album « Aubeterre-sur-Dronne »
Sources
Collectif. Aubeterre-sur-Dronne – L’église souterraine. Chalais Imprimerie, 2014. 49 pages – Nombreuses illustrations en couleurs dans et hors texte.
Jean-Luc Piat et David Peressinotto. Aubeterre-sur-Dronne – Église souterraine Saint-Jean. ADLFI. Archéologie de la France – Informations [En ligne], Poitou-Charentes, mis en ligne le 01 mars 2008, consulté le 6 mai 2018. URL : http://adlfi.revues.org/1447
Région Poitou-Charentes, Inventaire du patrimoine culturel – Dujardin Véronique, Sarrazin Christine. Église monolithe Saint-Jean-Baptiste d’Aubeterre-sur-Dronne. Dossier IA16008284 réalisé en 2014. Consulté le 13 mai 2018. URL : https://gertrude-diffusion.poitou-charentes.fr/dossier/eglise-monolithe-saint-jean-baptiste-d-aubeterre-sur-dronne/af783d80-7cf8-4a35-adc7-f6d9cf92b410