Petites chroniques périgourdines

Recluses et reclusoirs en Dordogne

Perceval à la Recluserie, illustration d'un manuscrit de Poitiers du xve siècle, Bibliothèque nationale de France.

Pourquoi parler des recluses et reclusoirs en Dordogne ? Deux actes d’état-civil de1757 et de 1759 mentionnant une recluse et un reclusoir nous ont intrigués et nous ont conduits à en savoir un peu plus sur cette condition peu banale à savoir vivre emmuré, de façon définitive, dans un espace réduit

Les actes d’Etat-civil

Registre paroissial de 1757

Registre paroissial de 1757

Le second octobre 1757, a été baptisé Jean ROUX âgé d’un jour, fils légitime de François ROUX et de Louise LABAYE conjoints, habitants de Malbeu (Malbec ??) de cette ville. A été parrain Jean ROUX habitant de la paroisse de Keysac en Agenois, et marraine, Marie LABAYE, habitante du Grand Puy, recluse de cette ville. Présents Pierre GUILLEM et Jean GRENOT qui a signé avec moy.

Registre paroissial - Bergerac, 1759.

Registre paroissial – Bergerac, 1759.

 

Le onzième juillet mille sept cent cinquante neuf après les fiançailles et la publication des bans du mariage entre Jacques de Moulin tisserand fils naturel et légitime de Charles aussi tisserand et de Marie XXXX ses père et mère habitant dans la recluse des frères pêcheurs…

Que sait-on sur les recluses et pourquoi choisir ce mode de vie ?

L’origine des reclusoirs est difficile à déterminer mais semble débuter avec les ermites qui se retirent du monde pour ne pas céder à la tentation. Peu à peu, à partir du XIe siècle, la réclusion s’étend, parallélement au développement des villes, pour devenir un phénomène urbain et essentiellement féminin. Alors que l’ermite vivait en auto-suffisance, la recluse, elle, est totalement dépendante de son environnement.

La recluse de Notre-Dame de Paris

La recluse de Notre-Dame de Paris – Dessin de Louis Candide Boulanger.

« …Squelette vivant pourrissant dans son reclusoir, qui dormait dans la cendre, sans même avoir une pierre pour oreiller, vêtue d’un sac noir, et ne vivant que de ce que la piété des passants déposait de pain et d’eau sur le rebord de sa lucarne », c’est ainsi que Victor Hugo décrit une recluse dans Notre-Dame de Paris. Ainsi représentée, la condition de recluse paraît vraiment peu enviable !

La sinistre figure de la recluse apparut

La sinistre figure de la recluse apparut – Estampe de G. Perrichon, vers 1865

Les reclus sont donc des laïcs et sont des femmes. Certaines qui n’ont pu vivre leur vocation et entrer dans la vie monastique (il faut une dot monastique pour entrer au couvent et il y a un numerus clausus) vont choisir ce mode de vie pour se consacrer à Dieu.

Après un rite d’emmurement en présence de l’évêque et une messe de requiem, elles sont enfermées à vie dans un petit local sans confort et sans espace dont la porte est alors murée. Certaines, comme Sainte Julienne de Norwich, Sainte Colette de Corbie ou la bienheureuse Jeanne de Cambry, après une vie de prières et de piété, seront sanctifiées par l’Eglise.

« La recluse du cimetière des Innocents », lithographie extraite de Paris de Siècle en Siècle

Albert Robida – La recluse du cimetière des Innocents. Lithographie extraite de Paris de Siècle en Siècle.

D’autres cependant ne choisissent pas cet état par conviction religieuse mais y trouvent un moyen de subsistance, la recluse est entretenue par ses concitoyens. En effet, les femmes pauvres sont moins autonomes pour gagner leur vie, la misère, la prostitution, le viol… sont une menace permanente. La réclusion peut être un moyen de s’affranchir d’un mariage forcé ou une solution pour des veuves sans ressource et sans famille, le reclusoir apparaît alors comme un refuge. C’est dire comme le monde extérieur devait être violent pour les femmes pour les conduire ainsi à la réclusion.

Le reclusoir dans la ville

Le reclusoir est une minuscule cellule sans confort et sans aucune commodité dans lequel la recluse ne peut parfois même pas s’allonger. La porte est murée, il dispose d’une seule ouverture par laquelle la recluse reçoit sa nourriture.

Les reclusoirs se situent à des endroits stratégiques, cimetières, églises, aux enceintes des villes, sur les ponts…, ou peuvent être installés près des léproseries qui se trouvent à l’extérieure des murs mais aux portes de la ville. Bien situé, le reclusoir permet à la recluse de prier, de donner des conseils, de soutenir et recevoir en échange de quoi vivre. C’est du donnant-donnant, la recluse se charge des prier pour les péchés des habitants, en échange, elle reçoit dons et subsides.

Disparition de la réclusion

Au XVe siècle, la pratique de la réclusion va peu à peu décliner pour quasiment disparaître au XVIe siècle. Les raisons de cette disparition ne sont pas clairement établies mais on peut évoquer :

  • le regard distancié de l’Eglise sur une pratique adoptée par des laïcs pas forcément préparés intellectuellement et moralement à cette forme de renoncement au monde,
  • un dévoiement de la réclusion par des individus qui finissent par scandaliser par leur attitude très ordinaire (prières marmonnées, commérages, avarice…),
  • une évolution de la société qui ne peut plus accepter une condition aussi inhumaine.

Pourtant, la réclusion ne disparaît pas totalement du jour au lendemain, on va trouver des recluses au moins jusqu’au XVIIIe siècle, notamment en Dordogne.

La réclusion en Dordogne

En effet, le Périgord a lui aussi eu ses reclus et recluses, les noms de lieux relevés par le Vicomte de Gourgues en témoignent :

  • Le Reclau à Rourg-de-Maisons, Chapelle-Saint-Jean, Neuvic, Paunac, Saint-Cyprien, Cantilla
  • Le Reclausou à Naillac et Saint-Julien-de-Crempse
  • Reclausel à Vic
  • Le Reclus : village et chapelle, près de la ville de Brantôme.
  • La Recluse : faubourg de Périgueux. — La Reclusa de Larsault,
  • La Recluse d’Excideuil
  • Reclusel à Saint-Pierre-de-Chignac
  • Reclusou , une des anciennes portes de Limeuil et au bourg de Saint-Cyprien

A Bergerac, plusieurs endroits sont nommés La Recluse : un enclos dans la banlieue de Bergerac. (Ten. de la Reclusa, 1465) , un autre situé entre le chemin de Bergerac à Saint-Martin et le chemin de Bergerac à l’Orador (1409), la Recluse des Pères Jacobins (1743), la Recluse des Pères Carmes (1760) , la Recluse de M. de Pis, à la Gravouse au chemin des Frères (1743), la Recluse de Valette (1776).

Mr Grellet-Balguerie (BSHAP* – 1887) fait état d’une recluse (pas complétement recluse) fort populaire en 1250 à Bergerac. Cette recluse aurait été envoyée à Bordeaux en 1252 par le roi d’Angleterre Henri II et lui-même étant à Saint Macaire en 1253, il demanda au sénéchal de Gascogne, Jean de Rouwerke, de fournir à cette recluse une maison convenable et de quoi vivre. Ces dispositions furent annulées par le roi (de France) quand il vint dans cette région. Il demanda que les sommes lui soient ainsi allouées.

*BSHAP : Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord

Michel Hardy (BSHAP – 1887) indique qu’au XIIe et XIVe siècles on trouve trois recluses aux abords de la ville de Périgueux : l’une à l’Arsault, une autre à Sainte-Eulalie et la troisième au Puy-Rousseau . L’Arsault comptait un « reclussage » accolé à la Chapelle Sainte Marie. Dès 1310 et jusqu’en 1505, des recluses ont séjourné à l’Arsault.

Dans BSHAP – 2012, M. Jean-Pierre Bitard adresse une photographie de la statue de la Vierge des Reclus de Brantôme, prise par son père. Cette statue en bois du XVe siècle, conservée successivement dans la chapelle de l’hospice, puis dans l’église paroissiale, a été volée en avril 1977. Elle était très vénérée et avait été sauvée à la Révolution par le chef des révolutionnaires locaux.

Au cours de vos recherches généalogiques, vous pourrez peut-être découvrir d’autres recluses périgourdines notamment dans les actes d’Etat-civil ou dans les archives notariales, il était en effet d’usage, pour gagner le paradis, de faire un petit leg aux recluses.

Pour conclure, les recluses dans la littérature

La littérature s’est bien sûr emparée de ce phénomène extraordinaire et vous pourrez retrouver des recluses dans les ouvrages suivants :

  • Guillemette de La Borie. Le double secret de Bigaroque. Editions Presses de la Cité, 2010.
  • Jacques Doyon. La recluse. Editions Robert Laffont, 1984.
  • Carole Martinez. Du domaine des Murmures. Editions Gallimard, 2011.
  • Jean Teulé . Je, François Villon. Editions Pocket, 2007.
  • Fred Vargas. Quand sort la recluse. Editions Flammarion, 2017

Sources

  • P. L’Hermite-Leclercq. Le reclus dans la ville au Bas Moyen Âge. In: Journal des savants, 1988, n°3-4. pp. 219-262.
  • P. L’Hermite-Leclercq. Reclus et recluses dans le sud-ouest de la France, Cahiers de Fanjeaux n° 23, 1988 (consacré à la femme dans la vie religieuse du Languedoc).
  • Thèse de F. Bériac-Lainé – Lèpre et Société en Aquitaine, XIII-XIVe siècle, Paris IV, 1983.
  • Vicomte de Gourgues. Dictionnaire topographique du département de la Dordogne, Imprimerie Nationale, Paris,1873,

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.