La deuxième sortie Patrimoine 2018-2019 organisée par l’Université du Temps Libre (UTL) de Bergerac nous a conduit aux confins de la Dordogne et du Limousin pour visiter le superbe de château de Jumilhac.
A peine arrivés, sur la place principale de Jumilhac, nous sommes face aux château dont la porte d’entrée est intégrée dans une haute courtine agrémentée d’une balustrade en pierre. Nous remarquons immédiatement, en arrière-plan, le bâtiment aux extravagantes toitures, un enchevêtrement de tours rondes,de tours carrées, de toitures à quatre pans… De chaque côté, les ailes du château, plus massives, semblent nous raconter une autre histoire. Mais, passons la porte d’entrée et essayons d’en savoir plus sur l’histoire de ce château.
Les origines de la Seigneurie de Jumilhac
Il est un peu difficile de retracer exactement l’origine du château de Jumilhac car il n’existe que très peu de documents antérieurs au XVe et XVIe siècle dans cette région. On note cependant l’existence d’une seigneurie à Jumilhac au XIIIe siècle et il est fait mention d’un château à la fin du XIIIe siècle- début du XIVe siècle.
Le château de Jumilhac, dressé sur un éperon rocheux, domine l’Isle de 40 mètres. Cette position stratégique ne doit rien au hasard car le château peut ainsi facilement protéger le franchissement de l’Isle au niveau de Pont du Mur (appelé aussi Croix Bancaud) ainsi que l’ancien pont de pierre qui enjambe le ruisseau Le Ruchalait, affluent de l’Isle, sur lequel passait l’antique route Saint-Yriex-Thiviers.
Jumilhac est un pays de transition entre la bordure sud-ouest du massif central et la vaste plaine après Thiviers. Il est également à la limite de deux provinces, le vicomté de Limoges et le comté du Périgord. Cette situation renforce l’hypothèse de l’émergence d’une seigneurie à Jumilhac, la garde du passage ayant été confiée par les ducs d’Aquitaine ou le vicomte de Limoges à une ou deux familles qui ensuite s’établirent sur place.
Deux familles, deux châteaux sur le même territoire
Coseigneurie (seigneurie partagée de façon indivise entre deux seigneurs faute d’accord lors d’une succession) ou seigneurie double, ce qui est plus probable, faute de documents, il est difficile de trancher.
Toutefois, à partir du XIIIe siècle, Jumilhac connaît deux familles seigneuriales et deux châteaux. Un acte de 1275 nous apprend que l’une des seigneuries appartient à Aymeri de La Porte et que l’autre, selon une texte de 1289, appartient à Guy de Teyssière. En 1295, sans que l’on en connaisse le motif, c’est Helie Bruchard qui est propriétaire de la seigneurie que détenait Guy de Teyssière.
Les Teyssières/Bruchard et les La Porte vont faire construire deux châteaux forts qui se dressent face à face, l’un sur la rive gauche de l’Isle, l’autre sur la rive droite :
- le château de La Bruchardie où sont établis les Bruchard (rive gauche),
- le château de La Porte où vivent les La Porte (rive droite).
Pendant trois à quatre siècles, les deux familles vont se partager le pouvoir et les revenus. Les deux seigneuries vont passer de mains en mains sans vraiment de continuité. Mais, à la fin du XVIe siècle, on constate que les deux châteaux sont en triste état, le château La Porte n’est plus qu’une ruine et le château de La Buchardière est lui aussi « fort ruiné » et peu habitable (acte de prise de possession de 1579).
Après la guerre de cent ans et l’éviction des anglais, les châteaux ont sans doute perdu de leur intérêt stratégique. Les rois de France règnent désormais sur l’Aquitaine et il n’est plus nécessaire de protéger le passage entre le vicomté de Limoges et l’Aquitaine. En fait, tout était plus ou moins à l’abandon en cette fin de XVIe siècle.
Antoine Chapelle, une nouvelle page pour le château de Jumilhac
On sait peu de chose des origines d’Antoine Chapelle. Maître de forges, il a acquis une solide fortune dans l’exploitation de forges importantes (La Vallade, Mavaleix, Chapelle…), il détient également d’importantes propriétés en Limousin. En 1562, il a épousé Catherine Bailhot avec qui il a eu sept enfants.
Veuf, il épouse, le 5 octobre 1579, Marguerite de Vars, héritière de la partie des Bruchard. Elle lui apporte en dot la seigneurie et le château de la Bruchardie. Il achète ensuite, le 24 juin 1581, à Louis de Crevant, la seigneurie de La Porte. C’est ainsi qu’Antoine Chapelle devient seigneur « par entier » de Jumilhac.
En 1597, il est anobli par Henri IV pour services rendus à la couronne, il lui avait, semble-t-il, prêté des sommes importantes pour l’aider à conquérir le trône de France. En 1600, il achète, au roi et à sa soeur, Catherine de Bourbon, la baronnie de Courbefy.
Le château fort se transforme
Le nouveau seigneur a de nouvelles ambitions pour le château de la Bruchardie alors en très mauvais état, en 1579, trois étages sont laissés à l’abandon. Il va transformer le vieux château fort en une élégante demeure Renaissance en perçant des ouvertures et en recouvrant le château de ces remarquables toitures surmontés d’épis de faîtage présentant une grande variété de figurines.
Ascension de la famille Chapelle
A la mort d’Antoine Chapelle en 1610, son fils aîné Antoine II lui succède. Il a épousé Louise de Hautefort qui lui apportait en dot 20 000 livres. L’histoire de ce couple ou plutôt le triste sort de Louise, séquestrée pendant les absences de son époux, a donné naissance à la légende de la fileuse.
Jacques Chapelle, frère cadet Antoine II, devient, en 1631, le troisième seigneur de Jumilhac, son frère n’ayant pas eu de descendance. Il a épousé le 18 juin 1609 Madeleine de Douhet, originaire de Haute-Vienne. Ils auront treize enfants parmi lesquels, François, leur troisième fils qui succédera à son père.
François Chapelle épouse en 1644 Marie d’Affis dont le père était président du parlement de Bordeaux. Ils auront vingt enfants et trois de leurs fils seront à l’origine des trois branches principales de la famille.
François obtient que Jumilhac soit érigé en marquisat, par lettres patentes de 1655, enregistrées en 1657 par le parlement de Bordeaux. Cette promotion intervient après l’épisode de la Fronde et constitue sans doute une forme de récompense pour fidélité au roi. Il meurt en 1675.
Un château sous influence…
Au cours du XVIIe siècle, sous l’influence de la cour de Versailles, le château connaît d’importantes transformations : restructuration du premier étage du vieux château, transformation des dépendances en ailes du XVIIe siècle, aménagement de la courtine, aménagement de jardins à la française… Le château de Jumilhac devient une demeure fastueuse à la hauteur des charges confiées aux seigneurs de Jumilhac. La famille de Jumilhac s’illustre dans la carrière militaire mais également au sein de l’église, elle donnera deux évêques ainsi qu’un religieux spécialiste du chant grégorien.
Mais l’ascension des Jumilhac ne s’arrêtera pas là. En 1822, Armand François Odet de La Chapelle devient VIe duc de Richelieu et pair de France, Emmanuel de Vignerot du Plessis de Richelieu, sans enfant, ayant obtenu, en 1811, la permission de transmettre le titre de duc de Richelieu au fils de sa sœur.
La suite de l’histoire, un destin plus contrasté pour le château de Jumilhac
Après une période faste, l’histoire des Jumilhac et du château va peu à peu diverger.
Pendant la Révolution, le château est mis sous séquestre comme bien d’absent mais ne subit aucune déprédation. Antoine-Pierre-Joseph, marquis de Jumilhac est lieutenant-colonel de la garde constitutionnelle de Louis XVI quand il est arrêté après le 10 août 1792. Relâché, il rejoint les émigrés. Le District, après sa libération, fait lever le séquestre sur le château.
Antoine-Pierre-Joseph Chapelle de Jumilhac avait épousé Simplice-Gabrielle-Armande Vignerot du Plessis de Richelieu, sœur d’Armand-Emmanuel, duc de Richelieu, et comme lui descendante de l’illustre famille de Richelieu. En 1808, il vend le château et ses terres à son épouse pour 191983 francs. Puis, en 1811, alors que le Duc de Richelieu choisit ses neveux pour recueillir le titre, les biens, les dignités…, le château de Jumilhac est mis en vente et Antoine Pierre-Joseph et son épouse quittent le Périgord.
Au cours de XIXe siècle, le château change souvent de propriétaires et en 1902, il revient à Louis-Jean Baptiste Say. Pour financer ses projets industriels, celui-ci vend peu à peu les 1400 ha de terres puis, en 1815, ce sera au tour du château vendu à André Berneim, marchand de biens. En 1919, MM Maytraud et Paradinas de Jumilhac rachètent le château alors en très mauvais état. Pour assurer sa protection et éviter sa destruction, la municipalité demande, en 1922, son classement au titre des monuments historiques.
En 1927, un des descendants d’Antoine Chapelle, Odet, futur marquis de Jumilhac, rachète le château et entreprend sa restauration. Ses descendants, sa fille et son petit-fils, poursuivent aujourd’hui l’oeuvre de restauration entreprise il y a plus de 90 ans.
Château de Jumilhac : petite histoire familiale
Ma grand-mère maternelle était originaire de Jumilhac. Ses parents étaient métayers et ont habité un temps à la Croix Bancaud, juste en aval du château. Ma grand-mère, alors toute jeune fille, a été « placé » au château, probablement vers 1927 lorsque le marquis Odet de Jumilhac et son épouse ont racheté le château.
Chargée de nettoyer les cuivres dans la cuisine du château, je comprends mieux, après cette visite, son goût pour le beau matériel de cuisine particulièrement en cuivre !
Sources
- Ch. LAFON. L’acquisition de Jumilhac par Antoine Chapelle – Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord, 1960, 87 (3),191-196.
- Géraud LAVERGNE – Le château de Jumilhac à Jumilhac-Le-Grand, Dordogne : Historique et description. ThiviersVirmouneix, 1964. 35 p.
- Pierre ORTEGA. Jumilhac Le Grand au fil du Temps – Périgueux, Pilotes 24, 1999. 423 p.
Pour continuer la visite
Feuilletez le très bel album de Gaby24 : le château de Jumilhac.
Beau monument et histoire chargée ! Cela donne envie de retourner visiter les pierres de Dordogne…
Merci Pierre 🙂
Vieilles pierres, beaux produits sur le marché, randonnées magnifiques…Nous vous attendons en Dordogne !
Cette synthèse, si difficile à faire compte-tenu de la richesse de ce monument, est magnifique. Merci !
Merci Annick pour ce retour positif. C’est vrai que c’est un beau château et nous avons eu un guide passionnant !